Tempête en vue sur l’euro 

Jusqu’à présent, les marchés financiers n’ont pas bronché à l’idée d’un départ du Royaume-Uni de l’Europe. A priori en effet, ils ne croient pas à cette éventualité et de toute façon, la monnaie unique resterait en dehors du coup. Attention toutefois, des analystes comme Nicolas Baverez anticipent, s’il y a Brexit, une relance de la crise de la zone euro suite à l’incertitude créée. La réalité est plus cruelle?: le risque d’instabilité existe dans tous les cas de figure. Sortie ou pas des Anglais, les fragilités de la zone euro peuvent au moindre prétexte tourner au drame financier. Bien sûr, la BCE est en alerte avec un système anti-missile performant, mais son bouclier n’arrêtera pas tout. C’est pourquoi Hollande “le conceptuel” imagine déjà un plan B de sauvetage alors que Merkel “la pragmatique” se méfie des idées “un peu faciles” de ses amis français. “Des analystes comme Nicolas Baverez anticipent, s’il y a Brexit, une relance de la crise de la zone euro suite à l’incertitude créée. La réalité est plus cruelle?: le risque d’instabilité existe dans tous les cas de figure” Vu de Berlin, le barreur de l’Élysée n’a pas fait ses preuves – même par temps calme. C’est le principal obstacle à une refondation intelligente. Alors que l’Europe à vingt-huit connaît une montée sans précédent de l’état d’esprit populiste et sombre dans des cassures multiples, il est pourtant urgent de consolider l’avenir de la monnaie unique. L’euro souffre en effet de deux contusions majeures, de deux failles structurelles, toujours au bord de la déchirure au moindre choc, qu’il convient de traiter. C’est sous la ligne de flottaison que se passe le plus grave?: l’arrêt de la circulation des capitaux entre les États. Un comble pour une zone monétaire?! Ce dysfonctionnement est souterrain car invisible à l’œil nu du grand public. C’est le premier “souci” de la BCE que l’épargne excédentaire du Nord, Allemagne et Pays-Bas en tête, n’irrigue plus le financement des investissements du Sud. Cette segmentation s’explique par une multiplicité de divergences. Cela va de la situation financière des banques à la solvabilité des emprunteurs privés et à l’étendue des déficits de finances publiques, en passant par la faiblesse de la rentabilité du capital – comme en Italie et en Grèce notamment. La Recherche économique de Natixis, qui liste ces points, ajoute que sans les interventions de la BCE, via le “quantitative easing” (QE ou achat de titres publics), il y aurait le retour à des écarts dommageables de taux d’intérêt entre les différents pays. L’accès au financement extérieur redeviendrait dissuasif pour certains. “C’est le premier “souci” de la BCE que l’épargne excédentaire du Nord, Allemagne et Pays-Bas en tête, n’irrigue plus le financement des investissements du Sud.” Pour l’éviter, Mario Draghi, le président de la BCE, habille ses tirs d’artillerie “QE” du voile pudique de la lutte contre la déflation. En réalité, Francfort tient à bout de bras la solvabilité des emprunteurs dans les pays périphériques de la zone et masque les disparités dans la qualité des signatures. Sans cela, le spectre d’une nouvelle crise financière réapparaîtrait aussitôt. Au-delà des rodomontades habituelles contre les créanciers, c’est bien ce qu’a compris le gouvernement grec?: pour éviter la faillite, mieux vaut conserver le parapluie de l’euro et de Draghi. La seconde contusion “majeure” est en revanche en permanence sur la place publique. L’économiste Jacques Sapir est le procureur de service?: “l’euro n’est pas une monnaie car elle ne correspond pas à une autorité politique. C’est un régime de changes fixes, qui peut s’apparenter dans les faits à l’étalon-or. Il n’y a donc plus de flexibilité par le taux de change. En conséquence, l’euro est un facteur de récession car l’ajustement se fait par le marché du travail, les salaires et les quasi-salaires”, expliquait-il récemment aux Dialogues du Matin de l’Institut Diderot. “Il n’y a plus de flexibilité par le taux de change. En conséquence, l’euro est un facteur de récession car l’ajustement se fait par le marché du travail, les salaires et les quasi-salaires” Ce schéma est celui de la “dévaluation interne” dont témoigne la course à la compétitivité-coûts entre les 19 États membres. Dans un premier temps, c’est un jeu à somme nulle qui débouche dans un second temps sur des spécialisations productives différenciées, entraînant elles-mêmes de fortes disparités dans les niveaux de revenus. Au lieu d’aller vers davantage d’harmonisation, la zone euro s’enferre dans une hétérogénéité croissante. Comment remédier à ces deux failles structurelles?? À plusieurs reprises, François Hollande a mis sur la table des solutions. Notamment le 12?mars dernier, lors de la réunion à l’Élysée des dirigeants sociaux-démocrates européens?: “ceux qui sont dans la zone euro veulent aller encore plus loin. D’où l’idée d’un budget de la zone euro et d’un gouvernement de la zone euro”. C’est le “dada” des Français, leur plan B. Le nouveau gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, confirme?: “le volet le plus urgent de la réforme concerne la mise en place d’une institution forte dirigée par un ministre des Finances de la zone euro, afin de coordonner pleinement les politiques budgétaires et structurelles nationales”. “Le plus urgent concerne la mise en place d’une institution forte dirigée par un ministre des Finances de la zone euro, afin de coordonner pleinement les politiques budgétaires et structurelles nationales” Pour renouer avec une circulation fluide des capitaux entre les capitales de la zone euro, il faut pousser les feux de la coordination. Il s’agit d’institutionnaliser la capacité à coopérer. Et arriver ainsi à ce que les 8?% de PIB d’excédent commercial de l’Allemagne reviennent à 2?%, à ce que les capitaux “made in Germany” retrouvent le chemin du sud de la zone euro, au lieu de partir ailleurs dans le monde. Fort bien.